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| A mon tour! | |
| | Auteur | Message |
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£é@ Méga-Super-Héros
Nombre de messages : 184 Age : 37 Localisation : Espla, au milieu du chantier! Date d'inscription : 08/07/2006
| Sujet: A mon tour! Ven 21 Déc - 15:58 | |
| Coucou les gens ^^ Je débarque dans cette catégorie du forum, non pas pour commenter, comme j'ai pu le faire avec plaisir depuis sa création, mais pour vous montrer, à mon tour, une création à moi. Je ne suis ni musicienne, ni cinéaste, mais depuis quelques temps, j'écris. J'en parle un peu, parce que ça m'intimide de montrer ce que je fais, mais comme je vous connais tous ici, et que je sais que vous ne me mangerez pas, je vous présente une petite nouvelle. N'hésitez pas à critiquer, que ce soit positif ou négatif, ça me touchera beaucoup.
Ne pas déranger
Des haut-parleurs s’envolèrent quelques accords de guitare. Alexandre, assis sur un accoudoir, cessa de faire tourner le verre entre ses doigts frémissants et leva la tête pour affronter la métamorphose des chapelets sonores en longs rubans fauves. Aussi ondulants qu’entre les mains d’une jeune gymnaste, ils serpentèrent et s’entrelacèrent, esquissant la fluctuante ébauche des formes d’une femme. Elle courut à droite, à gauche, se cognant aux murs et glissant sur les meubles. Ne touchaient le sol que le bout de ses orteils. Ses cheveux, brindilles de lumière, formaient un casque d’or autour de son visage nébuleux. Ses hanches divines chaloupèrent et elle caressa du bout de son index la fossette qu’Alexandre avait au menton. Il s’ébroua ; saluée par le silence, la danseuse magnifique se consuma dans les rayons rasants du soleil qui filtrait à travers les persiennes. Le morceau s’était déjà achevé. Alexandre se laissa basculer en arrière, en travers du canapé, avec un soupir. Saletés d’hallus, de rêves éveillés, qui auraient dû le quitter à jamais avec la fin de son adolescence, et qui revenaient par le biais de ces foutues pilules. Merci à la médecine du travail, qui n’avait rien trouvé de mieux à faire que de le bourrer de médicaments. Il haïssait ces cachetons qui l’assommaient, il haïssait les visions splendides, mensongères, qu’ils lui offraient. Qu’avaient donc cru les toubibs ? Que de voir le champ de vision de leur patient virer au tableau impressionniste lui ferait prendre la vie par son bon côté ? Agacé par les paillettes qui scintillaient encore autour de lui avec des grésillements d’abeilles, Alexandre attrapa sur la table basse son paquet de cigarettes. Tant qu’à faire, autant avoir un goût de tabac sur la langue, plutôt que cette affreuse saveur vaseuse, ce parfum de rien, d’estomac noué, d’appétit porté disparu. Parce qu’évidement, non content de lui fournir les agréments d’un delirium tremens, son traitement de choc lui coupait totalement l’envie d’avaler quoi que ce soit ; s’il s’y aventurait, de toutes manières, il dégobillait une fois sur deux. Piquant la clope à ses lèvres sans l’allumer, Alexandre se couvrit les yeux de son avant-bras replié. Bien sûr, les médicaments n’étaient pas les seuls coupables. Il était juste… bien trop malade. Histoire d’avoir l’air moins bête faute de l’être, il embrasa sa cigarette d’un coup de zippo et en inspira quelques bouffées. Elles le prirent à la gorge avec une agressivité qu’il ne leur connaissait que depuis le début de son arrêt de travail. Il n’aurait su dire si cela lui déplaisait vraiment, dans tous les cas l’effet du tabac était un piètre contrepoids face aux pilules et à l’angoisse. Après s’être étiré, il se leva pour ouvrir la porte-fenêtre du salon. Un courant d’air glacial, mélange d’humus aigre et d’iode vif, joua un peu avec les rideaux. Alors qu’il contemplait leur ballet de spectres, un mouvement à la limite de la propriété, au-delà du petit muret de pierres, attira son attention. Il reconnut le roulement d’épaules caractérisant le propriétaire de la maison voisine, mais n’eut pas le temps de reculer pour se dissimuler. D’un grand signe de la main, l’autre lui signifia qu’il l’avait aperçu. - Salut, je peux vous parler une minute ?
Lorsque Thomas franchit le pas de la porte, Alexandre eut la chair de poule. En cet instant plus qu’en tout autre, il ressentit une profonde aversion pour lui. Ses manières affables sonnaient faux, son sourire était détrompé par un regard inquisiteur, dur…et calculateur, ce jour-là. Ils s’installèrent dans le salon. Alexandre, à la demande de Thomas, lui servit une bière et en décapsula une seconde. Laissant à son hôte le confort du canapé, il s’appuya sur le buffet et attendit. - Vous faites le mort ? Personne ne vous a encore vu, sur l’île, et si j’ai découvert que vous étiez ici, c’est uniquement parce qu’il y avait du mouvement derrière les fenêtres. Alexandre feignit de ne pas s’offusquer des manières de concierge de son invité. - Je suis ici depuis deux jours à peine. Pour me reposer. Thomas hocha la tête, compréhensif. - Vous avez l’air d’en avoir besoin. Alexandre grimaça plus qu’il ne sourit. Bien sûr, qu’il en avait besoin. Il avait les traits creusés, des valises sous les yeux qui auraient fait pâlir un cocker de jalousie, le teint gris, et une puissante envie de crever. Thomas, en cette soirée d’octobre, n’était décidément qu’empathie : - Des amis de vos parents m’ont touché un mot de ce qui vous est arrivé. Ce doit être terrible, vraiment, de voir son coéquipier… - Je n’ai pas envie d’en parler. Ça ne fera revenir personne, répondit Alexandre d’un ton morne. Ce qui fit toussoter Thomas, qui avait tout de même des limites en matière d’indiscrétion. Alexandre remarqua que son interlocuteur martelait distraitement la moquette du bout du pied. - Et vous, vous allez bien ?demanda-t-il. - Ma femme a disparu. Alexandre fronça les sourcils. - Vous voulez dire qu’elle est partie ? Thomas fit un signe catégorique de dénégation. - J’aurais pu la suivre, la retrouver. J’ai perdu sa trace. On s’est disputés, hier soir, et elle est sortie en claquant la porte. Plus rien depuis. Elle ne connaît pas grand monde ici, elle n’aime pas trop se frotter à l’autochtone quand nous venons sur l’île, mais elle n’a pas pu prendre le ferry pour autant, les lignes maritimes ont été coupées jusqu’à nouvel ordre à cause de la tempête. Alexandre haussa les épaules. - Elle a peut être dormi dehors… Le rire de Thomas, crépitement d’électricité statique, fusa dans la pénombre du salon. - Par un temps pareil ? C’est mal connaître Lena, elle est si douillette qu’il serait impossible de l’emmener ne serait-ce qu’en camping. - Pardonnez mon manque de tact, mais au village, tout le monde sait que vos conflits avec Lena sont monnaie courante. - Cette fois, c’est différent, répliqua Thomas assez brusquement. Un peu embarrassé, Alexandre entreprit d’essuyer avec sa manche l’anneau dessiné par le cul de la bouteille sur la table basse. L’attitude de Thomas l’intriguait. Il ne l’avait jamais vu aussi réfléchi, soudain avare de ses mots, comme s’il cherchait à se dissimuler – à tendre un piège… Pourquoi était-il venu frapper à sa porte ? - Je ne peux pas vous aider, Thomas, commença-t-il. - Mais vous êtes flic ! Alexandre sourit, amer. - Et totalement incompétent, ces derniers temps. Ecoutez, il y a deux policiers de garde sur l’île, si je ne me trompe pas. Adressez-vous plutôt à eux. Ils seront cent fois plus efficaces que moi. - J’aurais voulu régler l’affaire en petit comité. L’un des battants de la porte-fenêtre, poussé par une bourrasque, heurta un guéridon, d’où tombèrent quelques revues. Leur froissement fit sursauter Alexandre, qui ne put réprimer un frisson. Il n’aurait jamais du prendre cette bière, pas après les cachets. Depuis longtemps, ses nerfs s’étaient brisés comme des brindilles trop sèches. Un grand vertige ballottait ses synapses, l’empêchant de trier pensées et mirages. Il en avait presque la nausée. - Quelque chose cloche, Thomas. - Vous trouvez aussi ? ironisa son voisin. Alexandre tiqua. - Ce que je veux dire, c’est que je me demande si vous prenez cette histoire au sérieux. Lena s’est-elle vraiment tirée de chez vous ? Thomas fit mine de se lever, puis sembla se raviser. Cependant, sa mâchoire se crispa. - Je n’aime pas trop ce que vous insinuez. - Et moi, je n’aime pas qu’on me dérange en pleine dépression pour me raconter des âneries. Quelle est la vraie version de votre histoire, Thomas ? Pourquoi ce soir différait-t-il des autres ? Il s’interrompit, réalisant qu’il devenait trop nerveux. Si seulement il avait pu rester isolé, le temps que les effets des calmants se dissipent un peu ! Il passa sa main sur son menton rendu rugueux par une barbe de trois jours. Quelle piètre allure il devait avoir… la proie idéale. Les lèvres fines de Thomas s’étirèrent, découvrant ses belles dents blanches. - Chassez le naturel… souffla-t-il, avant de tirer de sa poche une petit écrin de nacre noir. Il fit jouer le délicat fermoir d’argent, le couvercle décoré de motifs bucoliques coulissa pour dévoiler une paire de boucles d’oreilles et un pendentif. Thomas le tendit à Alexandre pour lui montrer les seuls bijoux de Lena, mais le jeune homme n’y toucha pas. - Merci, je les vois d’ici. Sans se départir de son sourire carnassier, Thomas posa l’écrin devant lui. - Vous avez peur que je vous fasse porter le chapeau ? Comme Alexandre se tenait coi, les bras croisés, l’air passablement agacé, il choisit de poursuivre. - Elle les met toujours et ne les enlève que pour dormir. Chaque fois que les choses tournent au vinaigre entre nous, elle prend au moins le temps d’empaqueter deux ou trois bricoles, son journal, ses bijoux. Systématiquement. Même aux pires moments… Ce fut son tour de laisser sa phrase en suspens. Une étincelle fugace embrasa les prunelles sombres d’Alexandre, qui baissa les paupières pour la laisser s’éteindre. Quel salopard. S’il croyait que personne, sur l’île, ne savait ce qu’étaient ces pires moments ! Même lui, qui ne venait que trois fois l’an passer quelques jours dans la maison que lui avaient laissée ses parents, avait pu entendre tous les ragots qui pouvaient circuler à ce sujet. C’est néanmoins d’une voix mesurée, après avoir avalé une grande lampée d’air, qu’il s’enquit une nouvelle fois de ce qui avait bien pu différer la veille de leurs affrontements habituels. | |
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Nombre de messages : 184 Age : 37 Localisation : Espla, au milieu du chantier! Date d'inscription : 08/07/2006
| Sujet: Re: A mon tour! Ven 21 Déc - 15:58 | |
| (suite)
Thomas essuya ses mains moites sur les cuisses de son pantalon et demanda une autre bière. Les deux hommes suivirent un instant la course des gouttes mêlées aux embruns sur les vitres du salon. Alors que le jour déclinait, il recommençait à pleuvoir. - Nous sommes fiancés depuis un an, et nous comptons nous marier, c’est prévu pour juin prochain. Je pense qu’elle me trompe, malgré tout ça, je le sens depuis longtemps, je n’en avais pas la preuve, mais je n’ai plus pu me retenir, hier soir, c’était trop douloureux de vivre avec elle, dans tout ce mensonge. Je lui ai dit combien j’avais mal, à quel point je me sentais trahi, pris pour un imbécile. Je lui ai même promis d’arrêter mes… de ne plus mal me comporter avec elle, et elle est quand même partie. Alexandre détourna le regard, se demandant quel était le degré d’idiotie de son interlocuteur, pour donner à un policier le mobile de son crime. - Vous espériez que quelques bons mots allaient la faire rester, et tout oublier ? lâcha-t-il, froidement. - Je suis persuadé qu’ils ont fait leur effet, affirma Thomas. Elle est, j’en suis sûr, partie se promener pour… faire le point, avec l’intention de revenir, pour qu’on redémarre sur de bonnes bases, tous les deux. Elle m’aime, malgré tout, et je l’aime aussi. Je n’ai jamais voulu que son bien, on n’est simplement pas toujours sur la même longueur d’onde ! Et je crois qu’hier soir… elle l’a compris. La migraine tinta dans le crâne d’Alexandre, une goutte de sueur le frigorifia en dégringolant le long de sa colonne vertébrale. Ses perceptions, déformées, triturées, n’avaient pas atteint le summum de leurs tortures que, déjà, elles lui oppressaient le ventre. Un sentiment qu’il assimila à de la panique étreignit ses cordes vocales. Ou peut être était-ce juste une profonde et cisaillante tristesse qui écrasait sa trachée et sa poitrine; le manque poussant son premier cri. - Soit, admit-il, murmurant presque. Si je suis votre raisonnement, vu que vous avez du mal à en venir au fait, vous êtes persuadé que Lena a rencontré un imprévu, cette nuit. J’imagine que votre premier réflexe en soupçonnant ceci n’a pas été de courir chez moi pour me raconter vos malheurs. Qu’avez-vous fait, alors ? Thomas, culminant au demi-litre de blonde, pâlissait à mesure que les secondes s’égrainaient : une, deux, trois. Dix, vingt, trente tic-tic de gouttes d’eau contre la vitre. Un grincement de gouttière. Tout s’agitait beaucoup trop, songea Alexandre, à l’extérieur de la maison, et en lui-même, pour que la scène reste si figée, insoutenable, entre les quatre murs de ce salon. Même l’ange qui passait produisait un tintamarre de fantôme agitant ses chaînes. Thomas, gagné à son tour par cet implacable étouffement, se mit debout, traversa le salon et sortit sur la terrasse. Alexandre le rejoignit ; malgré l’abri que leur offrait l’auvent de bois blanc, la tempête naissante, un peu poisseuse, leur fouetta le visage. - Je l’ai cherchée toute la nuit, déclara finalement Thomas. J’ai parcouru toutes les rues et la plupart les chemins de l’île. J’ai passé la plage au peigne fin, jusqu’au bout des jetées. Je n’ai pas osé me renseigner, mais je suppose que si elle avait eu un accident, qu’elle était tombée à l’eau, elle aurait déjà été ramenée par le ressac. Au port non plus, je n’ai rien trouvé. J’ai attendu la criée pour m’y rendre. Aucune trace d’elle. Une fois le jour levé, je suis allé faire un tour du côté des falaises. J’ai regardé tous… tous les rochers, en contrebas. Rien. Alors j’ai eu le fol espoir qu’elle soit rentrée entre temps, gelée, affamée, dans le même état que moi. C’est en courant que je suis retourné chez nous, mais la porte était toujours fermée à clef, le lit fait, et aucune de ses affaires ne manquait à l’appel… Thomas déglutit, s’il n’avait pas eu les yeux totalement secs, le timbre aussi régulier, Alexandre aurait juré que c’était un sanglot retenu. - … J’ai fouillé son agenda, son bureau, ses poches. J’ai mis la baraque sans dessus dessous, à la recherche d’un indice, d’un repère. Elle ne m’avait laissé aucune piste pour la retrouver, pas un numéro, pas une adresse que je ne connaisse pas. En désespoir de cause, j’ai jeté un œil aux esquisses. - Les esquisses ?répéta Alexandre, suspendant son mouvement pour porter une nouvelle cigarette à ses lèvres. Les poings de Thomas se crispèrent. - Oui, des dessins, à l’aquarelle, au fusain, parfois au simple crayon. Lena… au départ, n’acceptait de venir s’isoler sur l’île pendant les vacances que parce que les paysages y sont uniques. Elle partait parfois des journées entières en quête d’une petite crique, de tombes d’anciens contrebandiers, d’un point de vue d’où les rayons du soleil caressent plus gracieusement les vagues… Par la même occasion, elle pouvait s’isoler, s’éloigner de moi quand les choses n’étaient pas au point entre nous. Je lui laissais ces moments, j’acceptais de ne pas m’imposer dans cette facette de son existence… Vous le savez bien.
Alexandre ne détacha pas son regard de la balustrade qui délimitait le bout du jardin – au-delà, il y avait une falaise, et en contrebas, l’océan qui étreignait le ciel d’averse dans un grondement sourd. Au bord du vide, un saule pleureur tout recourbé balançait ses branches graciles et tristes. Par intermittences, elles dévoilaient une pointe couleur d’ivoire s’élançant comme une défense hors d’un rocher qui s’avançait au large…
Thomas rit sans joie. - Ah oui, le phare. Je crois même que le seul point de l’île d’où on peut l’apercevoir du côté ouest, c’est votre jardin. Voilà une vue merveilleuse que votre famille s’est offerte. Terriblement romantique. Elle devait beaucoup plaire à Lena. - Nous devrions arrêter là cette conversation. - Où est-elle ? Alexandre quitta à contrecoeur la mer d’airain du regard, pour toiser son voisin dans le blanc des yeux. S’il y avait encore quelque chose d’intact, Thomas venait de l’écraser sans la moindre vergogne. - Pauvre con. Thomas empoigna Alexandre par le col de son pull sans que celui-ci se débatte. - Je sais qu’elle est ici, avec toi ! Je veux lui parler, la raisonner ! Où se cache-t-elle, hein ? Je croyais que c’était fini, qu’elle reviendrait vers moi. Elle me l’avait promis…
Alexandre vida le reste de son chargeur sur Thomas, las d’être secoué comme un prunier, las de voir filer avec un tourbillon de feuilles mortes le semblant de quiétude qu’il avait cherché de toutes ses forces à retrouver. Las de ce vacarme qui le dévorait et lui avait pris jusqu’à son âme. Bien sûr que c’était fini, Lena l’avait dit. | |
| | | mazo Méga-Super-Héros
Nombre de messages : 188 Age : 35 Date d'inscription : 04/07/2006
| Sujet: Re: A mon tour! Ven 21 Déc - 18:13 | |
| Joli retournement de situation à la fin =)
J'aime beaucoup, mais je préfère en général quand le style est un peu moins soutenu (mais ça c'est personnel) ! | |
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| Sujet: Re: A mon tour! | |
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